Il est un effet singulier lorsqu'on travaille avec un cheval - à condition toutefois de le faire en conscience, en présence, qu'il est devenu à la mode d'appeler "le cheval-miroir". Ce terme s'est rapidement répandu sur internet avant d'être consacré par la littérature et au détour de quelques recherches universitaires. Il cherche à traduire cette sensation qu'on éprouve lorsque le cheval semble nous renvoyer un reflet particulièrement juste et percutant de nous-même. Confirmation de tendances connues, mais aussi prises de conscience profondes sur notre attitude et notre impact social.
Il est vrai que le cheval réagit un peu comme une glaise vivante, nous renvoyant l'empreinte socialement dynamique de notre attitude et de notre personnalité. Miroir donc, mais miroir en interaction. Cette prise de conscience peut agir comme un puissant levier de développement et offre déjà au coach ou au thérapeute un outil de travail extraordinaire. L'interaction hic et nunc avec un animal fournit ainsi à la fois un outil de diagnostic et de dialogue sans induire le côté normatif d'autres instruments miroirs tels que les tests psycho-métriques.
Cette qualité de miroir serait intrinsèque au cheval et donc présente dans l'interaction avec chacun d'entre eux. Nous tomberons rapidement d'accord avec cette idée dans la mesure où toute interaction sociale avec un autre être met en lumière quelque chose de soi-même. Elle est ici certainement amplifiée par l'altérité du cheval qui m'incite à me questionner davantage puisque nous pouvons moins facilement lui prêter nos propres motifs. Il est également clair que le cheval, au même titre que le miroir, ne nous épargne guère dans son feedback. Il n'est guère susceptible de s'embarrasser des filtres sociaux qui transforment et atténuent nos interactions quotidiennes avec nos semblables. Il faut créditer en plus au cheval deux atouts qui procèdent de son talent particulier à nous renvoyer à nous-même : Premièrement, le cheval est un animal social par excellence. A l'état sauvage, la vie en groupe est pour lui une condition de survie. Le fait social devient donc crucial dans ce contexte et la régulation des échanges sociaux au sein du groupe est un élément prépondérant du quotidien. Quant au cheval domestique, en entrant dans le giron social de l'homme, il a dû, pour s'adapter aux attentes de ses partenaires humains, développer une réelle capacité de lecture de nos attitudes et intentions.
Miroir donc, de la personnalité, du comportement, de l'empreinte de soi dans le monde, mais aussi miroir de l'âme puisqu'il a accompagné au fil de millénaires tous les rêves et toutes les conquêtes de l'humanité. Il nous a rendus plus rapides, plus forts, plus endurants, plus nobles, plus grands en somme.
Mais l'expression "cheval-miroir" dénote également autre chose qui est une composante essentielle de notre culture et de notre manière de penser notre rapport aux animaux. Nous avons appris à les considérer comme des êtres sans motif, guère doués de conscience et disponibles à nos volontés. Etre miroir, c'est être une chose; réactive à l'interaction, certes, mais sans but ni volonté propre. Ainsi, là où nous lirons le comportement de nos semblables comme une manoeuvre guidée par des motifs secrets, nous lirons celui du cheval comme plus objectif et serons plus ouverts à la remise en question qu'il nous propose. Mais ramener l'autre au rang de chose est un appauvrissement de nos remises en question presque aussi dommageable que de se faire victime des menées de nos semblables.